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Le jardin des esprits

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Le jardin des esprits venait d’ouvrir ses portes. Ses portes ou ses pages, c’est comme on veut. Tout dépend de quel côté de la réalité on se place. Pour les plus sérieux, ce sont des pages. Celle d’un livre de contes. Pour les plus audacieux, ce sont des portes. Celles d’un jardin. Celui des esprits. Un jardin charpenté de lumière et creusé de trous noirs. Et comme les trous noirs, en général ça fait peur, les plus sérieux n’y entrent pas. Ils restent sur le seuil. Enfermés dans leurs idées sombres, un peu arrêtées. Mais il y a les autres, les intrépides. Et parmi eux, il y a Héloïse. Héloïse qui n’a pas peur ou bien qui ne voit pas le danger. Tout dépend encore de quel côté de la réalité on se place. Toujours est-il que la petite fille entre entière dans ce jardin.

Ne laisse rien dehors.

Elle entre donc dans le jardin la tête vide, l’esprit libre. Les portes, elles, sont lourdes et grinçantes. Pleines d’histoires. Et très hautes. Sûrement pour protéger ce lieu, se dit Héloïse. Ce qui est sûr c’est que rien n’est magique ici, surtout pas la pensée. Que nous ne sommes pas dans un conte de fées. La preuve, il faut participer. A l’entrée de ce lieu il y a une grande boîte. Une boîte à idées. A idées arrêtées. Héloïse y dépose les deux ou trois qui se marient dans sa tête. Si elle n’en n’a pas davantage, ça vient de son âge. Elle n’a pas encore sept ans. Pas encore de jugements.

 

Un chemin s’ouvre maintenant sous ses pas. Un seul. Elle n’a pas le choix alors autant le suivre. L’atmosphère ici est tranquille. Un peu étrange mais tranquille. Par exemple, il y a les oiseaux. Et les oiseaux c’est toujours tranquille. Ça sautille, ça mâchonne des brindilles. Et puis ça sourit beaucoup. Il se trouve aussi que ça parle. Héloïse le sait, elle qui parle aux oiseaux depuis toujours. Depuis le berceau. D’ailleurs avec eux on ne parle pas avec sa tête, on parle avec son cœur. Et depuis qu’elle est née, la petite fille ne parle qu’avec lui. Il est vrai que ça inquiète beaucoup ses parents (des gens  très sérieux). Le médecin, lui, rassure. Leur dit que tout va bien. Mais il faut que je vous dise, le médecin fait partie des intrépides. Des gens qui n’ont pas encore sept ans dans leur tête. Et puis c’est vrai qu’elle va bien Héloïse. Elle sourit tout le temps. Un peu comme les oiseaux. D’ailleurs c’est peut-être là qu’elle aurait dû naître. Au milieu d’une famille d’hirondelles, de roitelets ou de mésanges. Des fois elle se demande. Elle comprend si bien leurs chants. Les paroles y sont belles. Elles lui disent d’avancer, que le monde est beau, que des trous noirs il ne faut pas en avoir peur. Qu’un jour ou l’autre, elle entrera dedans comme elle est entrée dans la lumière. Et ce sera une chance.

A condition qu’elle n’oublie pas de garder l’esprit ouvert.

 

De toute façon, Héloïse ne s’inquiète pas. Elle pousse d’autres portes. Se laisse suivre par un petit renard au pelage de feu qui l’observe. Lorsque la petite fille s’arrête et se retourne, l’animal court se cacher. Il aime jouer à cache-cache, se dit Héloïse. Moi aussi. Le seul souci, c’est qu’il n’y a pas vraiment de cachettes dans cet endroit. Il y a bien des terriers mais c’est tout. Même pas d’arbres. Juste ce ciel immense. Bien plus grand que celui qu’elle connaît, bien plus bleu aussi. D’un bleu étrange. Mais elle ne s’étonne pas puisqu’elle ne compare pas. Puisqu’elle a jeté tous ses préjugés dans la boîte, à l’entrée.

 

L’air aussi est étrange. On peut le caresser. Il ressemble à la gélatine que maman met sur ses gâteaux. Héloïse s’amuse de sa gourmandise. Le monde, tout d’un coup, devient sucré. Acidulé. Et le ciel très très bleu se déchire, laissant apparaître un soleil rose clair. Quand on le touche (ne riez pas, c’est possible), ce soleil rit. C’est un soleil chatouilleux. Il parait aussi qu’il est amoureux. Qu’il a demandé sa main à un astre lointain. Féminin (Du moins on le suppose car il porte la nuit des robes de chambres en dentelles). Bref, ce sont leurs histoires et Héloïse ne voudrait pas se mêler de ce qui ne la regarde pas.

 

Elle marche toujours, sans fatigue, mais il lui semble que le bout de ce monde approche déjà. C’est un peu comme si elle avait mis les pieds sur une toute petite planète. Elle s’attend même, pourquoi pas, à y rencontrer le Petit Prince. Enfin, elle s’y attend sans s’y attendre. Mais voilà qu’il passe. Je parle du Petit Prince. Voilà qu’ils se croisent et qu’elle l’entend demander : « S’il te plait, dessine moi un mouton ». Il se trouve qu’Héloïse aime bien les moutons et qu’elle s’est entrainée à la maison. Mais elle n’a ni papier ni crayon. Et sur ce chemin, sous ce ciel sans fin, il n’y a rien. Or je vous le rappelle que nous ne sommes pas dans un conte de fées. Les papiers et les crayons n’apparaissent pas de façon magique.

Mais les moutons, si.

En voilà un d’ailleurs. « Il est trop vieux », dit le Petit Prince, bougon.

En regardant le garçon à la couronne, Héloïse se dit qu’il est bien difficile, qu’il doit avoir au moins sept ans. Et qu’il a oublié de laisser ses idées arrêtées, dans la boîte, à l’entrée.

 

Elle poursuit son chemin. Sous ses pieds, un champ de fleurs. Ou pour être plus exact, un champ de tulipes. Je vous en prie, ne me demandez pas d’où elles sortent ni comment elles s’y sont prises pour venir au monde à la vitesse de la lumière. On m’avait dit que nous n’étions pas dans un conte de fées et je l’avais cru. Finalement, je commence à me poser des questions.

Les tulipes poussent ici comme des portes. Jaunes, blanches, vertes ou violettes. Il y a là toute la palette. Sous les yeux de la petite fille, un peu de l’infini des couleurs. En même temps que de la fin du monde. Du bout du chemin.

Du moins pour ce matin.

 

Maman vient en effet d’entrer dans la chambre. Héloïse ferme le livre et quitte le jardin. Quitte l’histoire du renard, celle du vieux mouton et du Petit Prince. Celle du ciel, de l’air et des hirondelles. Elle quitte aussi le soleil, les oiseaux et les tulipes.

Et en bon intrépide qu’elle est, elle se tait. Il faut savoir garder des secrets. Si maman savait la vérité, elle penserait que sa fille a perdu la tête. C’est d’ailleurs ce qui vient d’arriver.

Mais c’est bien là, dans cette perte, que résident toute la joie et la folie d’Héloïse.

Et c’est bien là, à cet endroit, que la petite fille découvre sa liberté.

 



28/01/2014
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