elisecreationsuite

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C'était il y a neuf mois

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C’était il y a neuf mois, Noisette,  tu te souviens ?

Le vent arrachait avec force et fureur les feuilles rousses des platanes.

Nous étions assises sur ce banc. Le petit, blanc. Celui sur lequel je déposais, au retour de la cueillette, mes paniers remplis de fleurs fraîches et de fruits mûrs.

Tu tenais, froissée dans tes mains, une lettre.

J’ai vu les larmes couler sur tes joues sans que je puisse les retenir. Une idée folle m’a alors traversée : les attraper dans mon filet à papillons, les faire s’envoler et ramener sur ton visage le plus joli des sourires. Au lieu de ça, j’ai sorti de ma poche un mouchoir.  Mes souvenirs sont si précis. J’avais trouvé, au fond d’un tiroir, ce petit carré de coton blanc quadrillé de noir. Il m’avait été offert par notre grand-mère. Avec d’autres.

Tous brodés de mauve et de violettes.

Mais revenons à tes larmes, elles m’ont surprise.

Le chat mélancolique, que toutes les tristesses attiraient, est venu se lover sur tes genoux. Il semblait vouloir tenir au chaud ta douleur. Tu l’as laissé faire et nous avons ri.

 

C’était il y a neuf mois, Noisette, tu te souviens ?

La pluie de septembre s’était mise à tomber et nous avait, poussées, brusquement à nous prendre la main et courir jusqu’à la maison. Nous étions comme deux enfants. Un peu gourdes, un peu légères.  Je t’ai proposé un café, tu m’as tendu la lettre. L’eau du ciel avait bleui le papier. La lecture devenue impossible, c’est toi qui as posé les mots. Ceux de ton prochain départ. Tu repartais sur la route. Le feu brûlait sous tes pas depuis que tu étais née. Il te faisait bondir de pays chauds en pays froids. De terres humides en terres arides. Tu voulais l’espace.

Tu aimais les déserts, tu aimais les montagnes. Tu aimais tout ce qui éloigne.

Tu m’as dit : « Avant de partir je désirais te serrer dans mes bras. Je pars en Italie cette fois ». Ton âme nomade rayait mon âme sédentaire. Je ne pouvais rien faire.

 

C’était il y a neuf mois, Noisette, tu te souviens ?

Lorsque la pluie a cessé, nous avons chaussé nos bottes et pris le sentier qui mène au moulin. La boue ne nous a pas gênées. Mon chagrin, lui, j’ai préféré te le cacher. J’ai préféré garder secrète toute cette peine qui me mordait le cœur à pleines dents.

J’ai fait semblant.

 

C’était il y a longtemps, Noisette, et j’ai toujours ta lettre.

Les mois ont passés. Neuf exactement.

Le temps de mettre au monde un enfant.

Si je n’ai pas accouché, j’ai fait du chemin moi aussi.

J’ai posé des mots et j’ai bleui des pages.

Chaque matin, depuis le début du printemps, de retour de la cueillette, je m’assois sur ce banc. Le petit, blanc. J’y dépose mes paniers remplis de cerises, d’iris et de jonquilles.

Et pour m’éviter de tout quitter, de partir te retrouver, j’écris sur ce carnet.

J’écris mon voyage. Intérieur.

Et quand tu rentreras, quand tu seras fatiguée de courir, peut être tu me liras…



18/02/2014
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