Contredanse
Tu m’avais dit : cette fois c’est fini. J’avais dit oui. Une fois n’est pas coutume, tu avais parlé. Enfilé des mots. Des mots-costumes, tachetés de brume, mais des mots quand même. Ton désir, le vrai, je le sentais tout autre, tout près. A l’opposé de ce que tu me chantais. Je te voyais te balancer, à contretemps, à contre-croche. A l’envers de ta musique, désaccordé.
Mais tu l’as dit, tu voulais te protéger. Des coups de tonnerre de ta colère. Tu préférais éviter le conflit, tu l’as suffisamment répété. Toujours la même sérénade, tu t’enfonçais dans le creux du lit, les yeux brûlés sous tes sourcils froncés. Tu t’enfermais plutôt que de jouer. Porte close, parole bâillonnée. Egarée dans le silence, à peine soupirée. Tu préférais rester fixé, cloué à tes idées, claquemuré. Mais c’était sans compter sur ma vigueur, ma nature combative qui, lorsque tu t’affalais, lorsque tu t’affolais, te convoquait à te redresser. A visiter ta verticalité.
Tu es parti, pourtant, petit soldat. Tu as pris tout ton barda, tes clics et tes clacs, mis dans ta besace tes non-dits, ta fausse mélodie. Tu as maquillé de charme ton doux visage et tu m’as dit : cette fois c’est fini.
Mais ton esprit, candide et contrarié, s’opposait. De toute ta flamme, tu désirais t’affronter. Batailler contre tes interdits, tes impossibilités. Ton âme-flûte, en lutte, dissonante et caressante, je l’avais devinée. Sous les mots lisses et déguisés qui se faisaient la révérence. Sous le ton mesuré, égalisé et monocorde.
A t’entendre, tout était clair, carré, bien classé. Tu évoluais, virtuose, dans l’univers des notes récitées, déportées. Toutes linéaires, logiques, sans intervalles ni pointillés. La forteresse était épaisse. Lourde et disgracieuse. Ton abri, anti-atomique, anti-fantaisie.
Là où je logeais, tapie au fond de mon intuition, j’ai entendu le carillon.
Le retour possible au secret, au jardin du vrai.
Je me doutais qu’une fois les bagages déposés, dépaquetés, monteraient de nouvelles pensées. Libres mais jusqu’ici inavouées. Subversives et non recommandées. Je supposais l’effritement, l’effondrement des murs. Je présumais l’inconfort, les pas chassés. Tes pieds, sur le sol bétonné, piétinant bientôt des sables plus mouvants.
Je me doutais, que ce jour-là, lorsque le souffle te manquerait, on se retrouverait. Tu te retournerais. Sur moi, sur tes pas. Sur la sinueuse rondeur des chemins, l’enroulement des sentiers, détournés. Tu accepterais ce qui manque et échappe, nous désenchante et nous arrache. Ton âme, soulagée, chevaucherait au galop, le dessus des dessous des clôtures, des barbelés.
Je précise, prudente, que je ne suis pas là pour te rattraper. Pour te hisser sur cette terre sauvage sur laquelle il nous faut s’incarner. Mais je peux, si tu le veux, t’accompagner. Faire avec toi, à tes côtés, le trajet de la colère. Sans être mère, ni infirmière. Sans blouse blanche, ni uniforme.
C’est ce que je me suis dit lorsque j’ai reçu ta lettre. Tu avais écrit : « je me suis fui, je suis parti trop tôt. J’aimerai te revoir, abandonner tout pouvoir ».
Une fois encore, j’ai accepté. J’ai dit oui et j’ai gardé pour moi tout le reste.
Ma propre musicalité, mon goût pour les jeux de mots, les siestes et le rodéo.
Puisque cela m’était donné, je voulais voir la vie ressusciter. Tout allait enfin commencer. Toi autre et moi différente. À jamais neuve et tournoyante.
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