Funambule
Le ciel bleu clair était emmitouflé d’une longue écharpe de laine blanche.
On l’oublie trop souvent mais il fait froid là haut. Le ciel, plutôt courageux, ne se plaint pas. Il se contente de se couvrir. Les nuages l’aident. Ils vont et viennent, tricotant de leurs aiguilles, un manteau de neige moelleux et confortable.
Et c’est ainsi qu’il supporte l’hiver, l’altitude et le vertige.
J’avais, quant à moi, et si j’en juge par les hauteurs sur lesquelles je m’étais juchée, oublié que je n’aimais pas le vide, que je n’aimais que la chaleur.
Je me découvrais, pourtant, marchant sur un fil, suivie de mon ombre.
Dans le rêve, car il s’agissait d’un rêve, ce qui semblait m’intéresser n’était ni ce vide, ni le froid. Ni même l’ombre derrière moi. Non. Ce qui m’attirait, me faisait fondre, c’était le coton des nuages. Leur souplesse, leur insouciance tapissaient le ciel et le sol. Sous mes pieds nus et sous le fil sur lequel je marchais, ils me creusaient un nid douillet. Un lit d’inconscience dans lequel mon ombre se jeta la première. Je suivis, je n’avais pas le choix. Elles et moi étions attachées par le cœur, depuis toujours. Siamoises peut-être…
La chute dura longtemps, ralentie par l’éternité du rêve. Je ne me suis pas réveillée pour autant. J’ai attendu. Il allait bien se passer quelque chose.
Si je faisais preuve de patience, je serais sûrement récompensée.
Et la suite, pour un esprit rationnel, n’a pas de sens.
Le ciel s’était effacé, le vide aussi.
Posé à même le sol, il y avait, dans un panier d’osier, une enfant au regard creusé de faim et de fatigue. Il n’y avait plus de sœur, plus d’ombre sur le cœur.
L’enfant, seule sur terre, tendait sa main vers la lumière.
C’est là que je reconnus le coton des nuages. Il s’était déguisé pour amuser le bébé. Déguisé en lumière dorée. Il dansait autour du panier et l’enfant, ravi, riait aux éclats. Tellement fort que je n’entendis plus le chant des oiseaux. Que je chutais encore.
J’allais tomber plus bas que terre mais j’avais confiance.
Si je faisais preuve de patience, je serais sûrement récompensée.
Et la suite, pour un esprit éveillé, peut prendre sens.
L’enfant, durant tout ce temps (celui de ma chute), avait grandi. Comment ? Le rêve ne le dit pas. Apparemment nourri du lait de la lumière. Autrement dit, élevée par la légèreté des nuages. Je les ai écoutés chuchoter entre eux. Parler leur langue maternelle. Je n’ai pas tout compris mais j’ai entendu l’âge. La petite fille venait d’avoir six ans. Des cheveux roux et tressés entouraient son visage. Dans ses yeux soufflait un vent de liberté. Elle avait l’âge de rêver. « Quand je serais grande, se disait-elle, je marcherais sur un fil et sur le ciel. »
L’enfant m’avait prise pour modèle.
Et bien plus tard, j’ai appris, un peu par hasard, qu’à force de chercher, elle avait retrouvé l’ombre perdue dans ma chute. Qu’elle avait quitté les hauteurs et qu’elle avançait, désormais unifiée, le ciel bien planté sous ses pieds.
Nous avions fait preuve de patience et nous étions récompensées.
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