L'abandon
Les arbres tiennent droit comme les barreaux d'une fenêtre de prison mais ces grilles ouvrent sur un paysage large contenu par les murs épais de la falaise.
L'homme vient de quitter la forêt, ses ombres et ses pièges.
Cinquante ans de marche sans presque rien y voir.
Cinquante ans, tête penchée, regard fixé sur ses pieds.
Pour ne surtout pas trébucher. Éviter les erreurs, les chevilles cassées, la peau salée, salie par la fatigue.
Les yeux rougis, il lève enfin la tête. La lumière le guette.
Et plus il avance, plus elle danse à travers les nuages. Elle tourne les pages.
L'homme se protège de ses éclairs, les mains tremblantes. L'émotion est forte, le voyage se finit. Il laisse derrière lui sa volonté de fer, ses mâchoires serrées, son besoin de contrôler.
Ses genoux lâchent. Il tombe sur le sable blanc.
De joie, de peine.
Ses chaînes se brisent en mille éclats et roulent jusqu'à la mer.
Le voile sur le ciel clair se lève. L'homme n'est plus condamné à la liberté.
Il voit qu'il n'a jamais eu le choix.
Pas plus que le vent n'a le choix de souffler, pas plus que les roses n'ont le choix de faner.
L'homme ne marche pas sur l'eau, la mer le porte sur son dos.
Fait valser dans ses profondeurs les vêtements tissés d'orgueil et de peur.
Nu, lavé de toute culpabilité, l'homme émerge, vertical.
Aussi droit que les arbres, que les barreaux d'une fenêtre de prison.
Libéré, relâché.
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