Partir là-bas
Un poisson rouge et or nageait avec ivresse dans une mer émeraude.
Seul.
Il était parti le matin même, avec, dans son sac en bandoulière, une boisson chaude (un chocolat), un cahier, un crayon et une petite écharpe de laine pour le cas où l'eau serait trop froide. Au fond.
Car il avait bien l'intention de descendre.
De se frotter à la mauvaise humeur des oursins, aux eaux boueuses, aux déchets dont on lui avait parlé (pots de chambre, pots de colle, pots d'échappement).
Et c'est ce qu'il fit. Dans un premier temps.
Toucher la terre sale.
Depuis tout petit, il rêvait de voyage. D'écume et de vagues.
De quitter sa mère d'huile, ses eaux lisses et pacifiques.
Son père ne s'était pas opposé, ses frères s'étaient montrés critiques.
Il s'était entêté.
Il voulait connaître la vie sauvage, sortir de ce palais doré, de cette cage d'acier.
Il s'imaginait au milieu d'étendues désertiques, de dunes à perte de vue et d'horizons sans fin.
Mais son rêve le plus fou, c'était de monter là haut. Jusqu'aux nuages.
De glisser dessus, dessous. De s’y rouler, dedans...
De participer à leur course.
Jouer à être l'ami de l'aigle. Espiègle.
Prendre de la hauteur, voir plus loin et rire de tout.
Devenir sage.
De ça il ne dit rien.
Il n'y avait, là, personne pour l'entendre.
Lorsqu'il eût fini sa visite des eaux les plus profondes, il entreprit de faire le tour de son monde. Il nagea si longtemps, qu'un beau jour, tout retour en arrière fut impossible. Et c'est ainsi, que, poussé par les courants d'air, soulevé par des flots d'enthousiasme, il quitta sa mère d'huile, ses amis, sa famille. Sans vertige. Sans même y penser.
Par un matin d'été, alors que le courage était là, il remonta à la surface.
Fit son premier pas sur le sable.
Rencontra la douleur, la brûlure de l'air, la chaleur.
Respira difficilement d'abord. Puis, peu à peu, trouva son souffle.
Il laissa derrière lui l'océan et ses larmes.
Perdit ses nageoires et se mit à marcher à quatre pattes. S'étonna.
Découvrit un pays étranger, aux arbres immenses. Et le saut de branches en branches.
À la poursuite de la lumière.
Une lumière qui, petit à petit, prit sa place.
Le poussa à se redresser, à marcher debout.
Et voir plus loin. Anticiper, penser.
C'est à ce moment là de son histoire qu'il se souvint du papier et du crayon.
De son désir ancien d'écrire. Pour inscrire ses débuts aquatiques, liquides. Sa naissance terrestre. Et bientôt sa naissance céleste.
On y était.
L'écriture était devenue possible, et le ciel avec.
Ce qui veut dire, la hauteur et le rire.
Le début de la sagesse.
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