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De guingois

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La maisonnette s’élevait au milieu du bois. Haute et de guingois.

Ses fenêtres s’ouvraient sur une architecture coquette faite de briques et de bois d’allumettes. Si elle avait élu domicile sous les yeux ronds du hêtre, c’est qu’elle s’en était acoquinée. Les branches vêtues de mousse verte, les creux et les arêtes de son tronc usé, tout cela la fascinait. Chaque jour, pour le séduire, elle changeait de toilettes. On l’avait vue se parer d’or et d’améthystes, talquer de sucre glace toiture, volets et devanture. Et tout cela sans jamais oublier de se dandiner. C’était pour cette raison qu’aujourd’hui tout allait de travers. A force de se déhancher, elle se trouvait tordue, mal fichue. Elle oubliait que sa jeunesse avait depuis longtemps filé. Mais que voulez-vous, à cet âge, on perd un peu la tête…

 

Le hêtre, poète, poursuivait d’autres rêves. Il formait le souhait d’entendre tinter les mots crochets, les mots clochettes. Il aurait aimé qu’on lui conte fleurette. Amoureux des langues illicites et de leurs jeux, il n’était pas homme, je veux dire, pas arbre à se laisser charmer par une beauté muette.

 

Pour désirer, il faut un peu de profondeur et d’opacité. Or, on le sait, les mots sont des mondes aussi secrets que fantastiques, élastiques. Ils ne disent jamais tout à fait ce qu’ils voudraient dire. Ils s’inventent, s’avancent et reculent dès qu’on les guette. Et c’est cela qui est magique, et c’est cela qui fatigue.

Œuvrer sans cesse pour le plus juste et le plus vrai.

 

Le hêtre y travaille, il se démène, il aime : l’improvisation, les circonvolutions, le risque. C’est ce qu’il a découvert. Ça peut paraître bizarre, dit comme ça, mais l’érotique, ce qui ne dévoile pas tout de suite, ça l’enchante. Il aime le mystère. Pour cela, il ferait des kilomètres. Mais, et ce n’est pas de chance, il est assigné à domicile, enraciné sous cette maisonnette.

 

Un arbre, personne ne le sait mais c’est sensible et féminin, ça aime converser. Ça déteste les devinettes et la télépathie. Ça craint l’effroi, le froid, la sécheresse. Et celui-ci, cet arbre-là, lorsque vous lui faites face, se montre aventureux. Il a appris que pour parler, il faut se séparer. Que pour se séparer, il faut parler. Etre vivant et différent. Jamais transparent, jamais tiède. Alors il ose tout : la langue des oiseaux, celle des anges, celle des loups. Il fait rouler entre ses joues les mots cryptés, hachés, hurlés. Mais ne vous y trompez pas. Par ce biais, il ne cherche ni à briller, ni à vous convaincre d’une quelconque vérité. C’est le moyen le plus direct qu’il a trouvé pour mettre à l’écart les indiscrets et les bavards. Ceux qui, si souvent, vous étourdissent de vide, vous mettent en retard.

 

Et jusqu’ici, il vivait seul, retranché en haut de sa colline. Jusqu’à l’arrivée de cette maison qui, depuis cet été, déambule en petite liquette et longs jupons. Entendons nous bien, elle ne va pas bien loin. Entêtée, lorsqu’elle s’arrête sur un lieu, elle établit de solides fondations. À déménager, elle n’est pas prête. Les yeux ronds couleur café de son amoureux, les années qui lui rident le front, elle ne peut s’en passer. Elle espère juste que sous ses allures de maison frivole, il creusera sa terre, son âme délicate.

 

Ce n’est pas parce que la jeunesse s’envole qu’il n’est pas encore et toujours temps de naître à la parole.



06/01/2015
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