elisecreationsuite

elisecreationsuite

L'ami des fleurs et des fruits

La joie a le goût granuleux de framboise. Elle pépite, crépite, les joues éclaboussées de rouge. La profondeur, elle, a le parfum du lilas frais. Elle ouvre les poumons, dégage les bronches, permet le souffle. L’ami des fleurs et des fruits s’en réjouit. Comme tous les matins, depuis presque toujours, il traverse la cour et s’enfuit au jardin. Et c’est ainsi qu’il s’adresse à la joie :

-Le pourpre qui te monte aux joues ravit mon cœur. Tu es bien plus belle et plus brillante que tes sœurs.

La joie, toute de rubis vêtue, frémit, se pâme, sensible à tant d’ardeurs. Le jardinier se penche ensuite sur la profondeur. Bleue nuit. Il ne veut pas faire de jalouses.

-Tu sens bon le vent, l’oliban et l’encens des églises.

-Je veille et je balance, répond la grande dame. J’accueille la joie lorsqu’elle retombe.

 

Le vieux jardinier, chapeau de paille sur la tête, poursuit sa route, d’un pas lent et saboté. Il respire le muguet, s’enivre de l’arôme des lys, s’entête des effluves du rosier. Depuis qu’il est amoureux, il perd le fil, il perd le sens. Alors il flatte, il complimente. Dialogue avec tout ce qui l’entraine et l’enchante. Avec l’aurore, les anges et la mort.

 

La profondeur, du haut de sa douceur, n’est pas dupe.

Rien ne dure, se dit-elle. Bientôt, la fusion des corps et la saveur sucrée du bonheur murmuré prendront fin. L’allégresse passera. L’amour, c’est sa demeure, elle connaît, elle a vu ça mille fois : les chutes, les voiles qui se déchirent. Elle a goûté les déceptions amères. L’acide aridité de la réalité. Ce n’est pas un drame, ajoute-t-elle pour elle-même. C’est même tout sauf un drame, c’est un passage obligé.

 

La profondeur, comme un lac ouvert sur les pleurs, baigne les plaies. Elle reconnait les chairs incendiées. Elle embaume de fraîcheur tout ce qu’elle caresse, rapièce et retisse. Bientôt, pense-t-elle, l’homme à la pelle, sur le chemin, trouvera du chagrin. Il enterrera sa gaieté. Et au lieu de siffloter, de mâcher laurier et autres herbes aromatiques, il mangera sa peine et son pain noir. Avec en arrière-goût, une haleine grave et métallique. L’amour est ainsi fait qu’il se transforme. Il y aura la colère mêlée de récriminations, les forces sauvages de la répulsion. Il y aura l’irrépressible désir d’accuser, d’inonder l’aimée de mots venimeux. De paroles assassines.

 

Sur le chemin, pas de drame. Il faut se laisser consumés. Inhaler le bois calciné de nos âmes. Mais pour tous et chacun, il est inquiétant de brûler. Il faudra pourtant s’écouter, se laisser fauchés. Ravaler le salé de nos larmes et traverser. Traverser la vallée de feu vaut mieux que passer à côté ou léviter. Que rester suspendu, ou retiré, de glace anesthésié. La profondeur le sait bien, elle qui fuit les vapeurs de l’éther. Elle offrira son espace et le bleu de sa nuit comme une grâce.

 

L’ami des fleurs et des fruits ne le sait pas encore. Il vient de tomber amoureux et son cœur bat plus fort. Mais les choses bientôt vont changer. Et s’il laboure comme il faut, s’il sème à juste saison, à juste raison, les récoltes seront bonnes. L’amour sans la folie de l’amoureux revient à aimer tendrement. Sans éclat ni démesure. Et pour la joie, elle lui reviendra. Plus intime et profonde, couleur framboise et bleu lilas.

 



04/11/2014
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 4 autres membres