elisecreationsuite

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Nos regards, soulevés

 La foule, sur le pavé, manifestait. Les mains frappaient. Et pendant que la clameur peu à peu s’élevait, je descendais, me rapprochais. J’allais vers toi comme on vient, comme on va vers une île, une terre solide et solitaire. Entourée d’eau, de pierres et de lumière.

 

La foule, sur le pavé, glissait. Les mains frappaient. Les nôtres, in habituées et incertaines, s’effleuraient. La maison, bercée par la douce brise des alizés, dodelinait. Dans l’intimité feutrée des notes blanches et noires d’un piano délaissé, elle se laissait porter. Tu es entré dans le salon, as feuilleté la partition et, installé sur ce tabouret, tu as joué. Les notes ainsi aérées ont gravi, grimpé les échelles pour s’envoler ; je t’écoutais les yeux fermés.

 

La foule sur le pavé grondait. Les mains frappaient. Au rythme cadencé d’une colère étouffée, d’un pas armé. Le bitume pâlissait sous l’enclume des rages et du rejet. Dans la maison, il faisait bon. Tiède à souhait. Nos regards, soulevés, ne restaient pas fixés. Ils s’étonnaient. Se promenaient, mobiles, du pourpre orangé des chandelles à l’argent étoilé de la nappe de papier. Ils allaient et venaient, faisant le tour des alentours, refaisant le parcours.

 

La foule, sur le pavé, grandissait. Les mains frappaient. Au rythme cadencé d’une colère étouffée, d’un pas armé. Claqué. Mais le piano, épris de vie, chantait plus haut. Nous fredonnait des comptines, des chansons enfantines. Nous offrait, maternel, sa bulle bleutée, poupine. Bientôt ouatée, je n’entendais plus qu’un ton sur deux. Plus que le silence d’entre les lignes et les portées. Les voix de la foule, écorchées vives, disparaissaient. Mises en sourdine. Je n’avais plus d’oreille que pour nos authenticités, fragiles.

 

Pour m’amuser pendant que tu jouais, je comptais les maillons de la chaîne, les crayons. Je comptais les couleurs, je comptais sur toi pour me faire oubliée. Entre tes bras et sous tes doigts, s’amortissait le choc. Je plongeai, sœur-sirène, dans un bain d’huile et de liqueurs. Les eaux de vie, de rhum blanc faisaient effet, me détendaient.

 

La foule, sur le pavé, grossissait. Les mains frappaient. Au rythme cadencé d’une colère étouffée, d’un pas armé. Toujours la même masse sur le même sol goudronné, scandant les mêmes peurs, les mêmes pleurs salés. Éloignée de la marée humaine, démesurée, j’appelais au secours. J’appelais la parole et la pensée, la mise à distance, la prévenance. Car plus que tout, je craignais la noyade, la montée des eaux, le retour au berceau. Je les craignais du monde, je les craignais pour nous. Je voulais rester, là, debout, avec moi dans tes bras. Tout à la fois accoudée à ce charivari, à ces « Charlie Charlie » et accordée à l’infinité des possibles. Je redoutais nos âmes résignées, fourbues et fusionnées.

 

La foule, sur le pavé, manifestait. Les mains applaudissaient.

De toute ma force, je restais amarrée au souffle régulier des alizés, à l’entre-nous deux, au juste milieu. Puis les heures ont passé, et peu à peu, ont ciré la nappe d’argent étoilée. Les chandelles éteintes, je me retrouvais ajustée aux vagues de la houle, à ses battements de cœur. Rassurée, je lâchais ta main. Non pas pour dessiner mais pour inscrire, écrire, traduire. Régurgiter l’absurdité.

 

Les pieds dans le sable, mon carnet posé sur la table, j’entrais dans la danse, vulnérable et responsable.

 



20/01/2015
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