elisecreationsuite

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Passage

Le noir et l’orange pâle se font face.

Comme deux étoiles, comme deux enfants brûlants de grâce.

Derrière les paupières blessées, un regard jaune d’or.

On ne sait dire encore si c’est de douceur ou de douleur qu’il irradie.

Le trouble est là qui fait qu’on ne sait pas choisir. Que l’on s’éloigne.

 

Tout le monde, ici, pourtant, a vu.

Sous le bleu-vert des vitraux, une jeune fille, assise en tailleur, pleure.

Genoux pliés, arrondie par la peine, rétrécie par la peur.

Et toujours seule, l’âme crispée, glacée sur le pavé froid.

 

Voilà dix ans maintenant que le silence de la chapelle l’éprouve. Fait son œuvre.

Il creuse en elle l’abri nécessaire à la nuit.

Élague et casse, tour à tour, les branches emmêlées des images.

Il fait plonger les racines, tomber les épines.

 

Digne, la jeune femme a trouvé refuge sous le seul toit possible : celui de sa foi.

Elle, qui a le goût de l’ascèse, vient, chaque jour que dieu fait, comme ils disent,

se retrouver ici sous la voûte rassurante des ogives.

Elle vient prier pour se remettre debout, s'élancer seule dans la vie.

 

Et le temps qui passe cerne et change son regard.

Autour du jaune d’or, le noir de tous les deuils.

De tout ce qu’elle abandonne, là, sur le sol, sur le pavé froid.

 

Paupières baissées en signe de révérence, le plus souvent elle parle bas. De ses souffrances, de son enfance. On la croit folle quand elle supplie.

On voudrait l’éviter, ne plus la croiser, recroquevillée sur ces marches blanches. Elle irrite, elle dérange.

Surtout ne plus entendre le voile léger de sa voix, étrange…

 

Mais l'ombre, quoiqu’on en dise, fait son travail.

En elle et tout autour, elle s’étend, s’étale.

Le noir, ce vide abyssal, brûle et avale ce qui n’a plus sa place :

Toutes les mémoires, ces cathédrales qui masquent le réel.

Ce feu d’obscurité grandit.

Touche bientôt le ciel, vertical.

 

Paupières baissées en signe de gratitude, la jeune femme écoute.

Entend plus clairement les crépitements d’une parole nouvelle.

Qui guide, inspire confiance, promet la transparence.

Elle entend bien mais elle redoute. Elle sait déjà ce qui va suivre :

L’annonce à venir d’une ultime mort à soi-même.

 

Aujourd’hui, après tant d’années passées ainsi recourbée, elle sait ce que servir veut dire.

Recentrée, paupières baissées, en signe d’humilité, elle acquiesce.

Elle laisse s’accomplir ce qui doit advenir. N’y fait plus obstacle, c’est le miracle.

Plus sûrement humaine, elle laisse s’inscrire en elle la marque du divin.

Et ouvre ainsi la porte à l'inouï, l’inévitable :

L’esprit peut désormais prendre sa place et construire.

 

L’invisible a ses secrets : il épure, édifie et structure.

Il charpente et protège les femmes vierges, les femmes folles.

L’invisible fait même plus :

Il tient droites et debout les différentes églises.

Il tient ensemble et rassemblé ce qui divise.

Il est la source, il est solide.

Il est aussi la vie. La vie sûre, non sécure mais pure.

Il dévoile l’immuable, le stable.

 

Paupières baissées en signe de respect, la jeune dame dissimule l’or de son regard. Le noir a disparu.

Elle n’en veut rien savoir, elle n’en veut rien montrer : l’esprit trop clair pourrait faire fuir.

Elle a peur. Peur que cette construction neuve, par sa beauté, époustoufle, coupe le souffle.

Effarouche.

 

Mais c’est l’inverse qui se passe. Personne ne la repousse.

Elle se redresse, on se rapproche.

Elle ouvre grand ses yeux, on s’interroge.

On la questionne.

 

Elle ne donne aucune réponse mais, par son sourire, elle interpelle.

Invite chacun à déplier ses ailes.

Et pour cela à creuser son sillon, trouver sa voie.

Oser son passage à vide, sa lente traversée de l’ombre.

 

Ce qu’elle avance et qu’elle assume, c’est qu’au bout, pour tous et pour toujours, il y aura la lumière.

 

 

 



17/06/2014
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