Sans contraires
Ne tourne pas les pages à l’envers, me disait ma mère. Pour l’embêter, parce que ça me faisait plaisir de la faire marronner, j’affichais mon drôle d’air, un peu sévère. Celui qui lui faisait penser que j’avais mauvais caractère. Et je criais (avec bonheur) que moi j’en mourais d’envie d’inverser les histoires et de ne, pourquoi pas, les remettre debout!
J’avais toujours été tentée de secouer les livres, les vies. D’en sortir les idées toutes faites, fumeuses ou trop construites, trop lisses et séductrices. J’aimais remuer les mots, creuser leurs sens, retrouver un peu de leur vérité. De leur verticalité.
Encore gamine, je savais à peine comment m’y prendre. Alors pour me donner courage, pour mieux me cacher de ma mère et de sa vue bien trop étroite, bien trop droite et linéaire, je fermais les yeux. Et dans un moment que je croyais hors du temps, je disparaissais. Je plongeais au pays des idées, dans le chaud des mots. Je leur livrai bataille.
Le temps a passé, j’ai grandi et je continue le combat. Le cœur lucide et les yeux clos, c’est aujourd’hui sur ton journal que je me penche. Intime, intimidée. J’en tourne les pages comme j’ai appris, comme bon me semble. Comme on danse sur la plage ou sous l’orage. Pieds nus et libre. Ivre de joie, je commence le voyage.
Et je plonge dans le ciel. Les phrases, ici, sont bien trop folles et volatiles. Elles portent même le vent si haut qu’elles le promènent. Et en chemin, elles se partagent. S’enchaînent dans un désordre qui les arrange puis trébuchent et tombent sur le sable.
En cascade.
C’est une chance. Unique. Je la saisis et m’agenouille. Récupère les mots, un à un. Les porte en prière, en bandoulière. Et sans que je ne puisse rien dire, les laisse me vêtir, me tisser une robe légère. Brune et prune. Les mots dans le journal parlent de moi. Ils m’habillent de miel, se disputent la première place, voudraient se nicher dans mon cou, chanter sous mes seins, glisser sur mes reins. Je les regarde et je ris merveilleusement avec toi.
Je ris parce qu’ils me chatouillent. Je ris parce qu’ils se prennent au sérieux.
Parce que tu es là, assis tout près de moi. J’étais partie seule, je te retrouve ici. Au milieu des mots (trop tendres et trop sucrés), au bord de l’eau. Le soleil rouge et roux brûle ta peau. Tu demandes si tu me déranges. Tu demandes si tu peux, toi aussi, avoir le même cadeau : un vêtement qui te ressemble, qui te parle de toi. Tu le voudrais orange. Tu le voudrais plein feux, mon ange. Tu voudrais éblouir, tu ne pourras pas choisir. Cela je l’ai compris. Les mots, les phrases et les idées vont décider. Il te faudra les suivre. A toi de consentir...
Je me détourne, avec pudeur. A demi.
J’ai bien fait. Tu as dit oui et ton visage change. Tes pupilles deviennent de noires agates rondes et transparentes. La vérité s’immisce et tu me souris. Ton costume se tisse de réglisse. Le noir et le blanc s’y mélangent. La vie se venge. Le costume ne sera pas orange. Tu ne pourras briller comme tu le souhaitais mais tu feras mieux. Tu diffuseras une lumière plus douce. Inconnue de toi. Celle du crépuscule, celle des aubes naissantes ou de la brume.
Tu vivras entre chiens et loups, sous la lune. Tu rejoindras l’animal et tu pourras m’attendre. Le cœur sans frontières, le cœur sans contraires.
Au bord du rire, au bord du gouffre.
Attentif à l’amour.
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 4 autres membres